Mirage 2022-2

Mirage 2022-2 : Le blanchiment d’argent saisi par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Belokon), note JCP E, 2022, à venir.

Juste après l’arrêt Alstom du 29 septembre 2021, qui avait laissé les observateurs sur leur faim, l’arrêt Belokon consacre la conception retenue par la Cour d’appel de Paris, et développée par la chambre commerciale internationale depuis son arrivée dans le paysage juridique du contentieux international français, du contrôle des sentences arbitrales internationales au regard de l’ordre public public international (CPC, art. 1520, 5°). L’affaire Belokon intervient dans le contexte non plus de la lutte contre la corruption, mais celle du blanchiment d’argent. La Cour d’appel de Paris avait en effet en 2017 (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, Rép. Kirghizistan c/ Belokon : D. 2017, 2054, obs. S. Bollée, p. 2559, obs. Th. Clay ; Rev. arb. 2017, 915, note S. Bollée et M. Audit ; RDC 2017, 304, obs. X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; RTD com. 2019, p. 42, obs. E. Loquin) dans une décision retentissante annulé une sentence rendue dans cette affaire qui concernait le cas de l’acquisition par un ressortissant letton (M. Belokon) d’une banque kirghize (Insan Bank devenue Manas Bank) finalement placée sous administration provisoire en 2010 par la République du Kirghizistan puis sous séquestre. M. Belokon a engagé une procédure d’arbitrage ad hoc sur le fondement d’un TBI conclu entre la Lettonie et le Kirghizistan et du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI et la République du Kirghizistan a formé un recours en annulation contre la sentence rendue en 2014 et condamnant cette dernière au paiement d’une somme de 15.020.000 $ à M. Belokon, conduisant à l’annulation de la sentence. On retiendra, rapidement ici, que la Cour d’appel de Paris considérait que le contrôle de la sentence ne conduit pas à une « nouvelle instruction de l’affaire », donc à ne pas réviser au fond, mais utiliser des éléments de preuves, non limités à ceux produits devant les arbitres et que l’existence « d’indices graves, précis et concordants » permettant d’identifier que la banque avait été acquise afin de développer des pratiques de blanchiment d’argent. La Cour de cassation reprend ces constatations, elle rejette le pourvoi :  » la reconnaissance ou l’exécution de la sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier M. Belokon du produit d’activités délictueuses, violait de manière caractérisée l’ordre public international, de sorte qu’il y avait lieu d’en prononcer l’annulation ».

Les commentaires de cet arrêt sont déjà disponibles. Ils permettent d’une part de considérer que cette décision est très heureuse en ce qu’elle valide l’activité réalisée par la cour d’appel de Paris depuis 2014 (comp. J. el Ahdab et D. Mainguy, Droit de l’arbitrage, théorie et pratique, LexisNexis 2021, n° 1614) et revenant à la situation prévalant au moment de l’arrêt Westman en 1993 (Paris, 30 sept. 1993, Westman : Rev. arb. 1994, p. 359, note D. Bureau ; Rev. crit. DIP 1994, p. 349, note V. Heuzé) et du Plateau des Pyramides de 1987 (Cass. 1re civ., 6 janv. 1987, Southern Pacific Properties (« Plateau des Pyramides ») : Rev. arb. 1987, p. 469, note Ph. Leboulanger ; JDI 1987, p. 638, note B. Goldman).

Elle permet d’autre part de s’interroger sur les conséquences de cette solution, en termes de politique jurisprudentielle, voire de politique internationale. La conception dite maximaliste l’emporte donc, contre la conception dite minimaliste (les contradictions à l’ordre public international « qui crèvent les yeux », depuis l’arrêt Thales : Paris, 18 nov. 2004, Thalès Air Defense c/ GIE Euromissile : JCP G 2005, II, 10038, note G. Chabot, I, 134, n° 8, obs. Ch. Seraglini ; JDI 2005, p. 357, note A. Mourre ; D. 2005, pan. 3058, obs. Th. Clay ; RTD com. 2005, p. 263, obs. E. Loquin ; Rev. crit. DIP 2006, p. 104, note S. Bollée. Adde : L. G. Radicati di Brozzolo, L’illicéité qui « crève les yeux », critère du contrôle des sentences au regard de l’ordre public international : Rev. arb. 2005, p. 529. – Ch. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage de l’exception d’ordre public international ou les dérèglements de la déréglementation : Gaz. Pal. 21-22 oct. 2005).

Or la question va immanquablement se poser de savoir si cette conception maximaliste couvre toutes les questions d’ordre public, ou si une forme de hiérarchie entre les cas est possible (maximaliste pour les cas de corruption, blanchiment, etc., cartels anticoncurrentiels, et minimaliste pour des cas moins graves du point de vue de l’ordre public international, comme des cas de restrictions verticales non exemptées, etc.), dans la mesure où la question de l’attractivité de la place de Paris pourrait alors être en jeu.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :