MIRAGE 2021/1

L’arrêt Vidatel c. PT VEntures, l’obligation de révélation et le principe d’égalité des parties, Paris 26 janv. 2021, n°19/10666

Nous rendions compte récemment de l’affaire PT Ventures c. Vidatel (Mirage 2020/7), qui se présentait comme la mise en œuvre du principe d’égalité des parties, tel que l’arrêt « Dutco » l’avait illustré (Cass. civ. 1ère, 7 janv. 1992, Dutco, JDI 1992, p. 707, Concl. Filipo, note Ch. Jarrosson, Rev. arb. 1992, p. 470, note P. Bellet, RTDcom. 1992, p. 796, obs. E. Loquin), aujourd’hui repris dans l’article 143 du Code de procédure civile et de nombreux règlements d’arbitrage (Cf. Règl. CCI, art. 12.6, 7 et 8 : « En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, et si le litige est soumis à trois arbitres, les demandeurs conjointement, les défendeurs conjointement, désignent un arbitre pour confirmation conformément à l’article 13.

Lorsque l’arbitrage implique une partie intervenante et que le litige est soumis à trois arbitres, la partie intervenante peut, conjointement avec le(s) demandeur(s) ou avec le(s) défendeur(s), désigner un arbitre pour confirmation conformément à l’article 13 (« À défaut d’une désignation conjointe conformément à l’article 12, paragraphe 6 ou 7, et de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l’un d’entre eux en qualité de président. Dans ce cas, la Cour est libre de choisir toute personne qu’elle juge adéquate pour agir en qualité d’arbitre, en appliquant l’article 13 lorsqu’elle l’estime approprié »).

Dans l’affaire Vidatel, rappelons qu’une clause compromissoire avait été insérée dans un contrat d’associés d’une société de téléphonie mobile en Angola (Unitel) entre quatre associés,  dont PT Ventures et Vidatel, prévoyant un arbitrage à 5 arbitres, un par partie et un président, renvoyant par ailleurs au Règlement d’arbitrage de la CCI, le siège de l’arbitrage étant fixé à Paris. Le litige portait sur les conditions dans lesquelles les dividendes distribués par Unitel et le refus par les trois autres de voter pour le représentant, dans Unitel, proposé par PT Ventures. Ce dernier avait alors engagé, en 2015, un arbitrage contre ses trois autres associés, mais reprochait à la clause une rupture d’égalité alors qu’ils avaient le même intérêt au litige, et invitait la CCI à désigner l’ensemble des arbitres, comme le propose l’article 12 de son règlement, à la manière de l’article 1453 du Code de procédure civile. Pour couper court aux discussions, la CCI désignait les 5 arbitres (Pr. Klaus Sachs (Président), Pr. Bernard Hanotiau, Pr. David Arias, M. Marcelo Roberto Ferro (co-arbitre) et Pr. Luca Radicati di Brozolo (coarbitres). Le tribunal arbitral ainsi constitué faisait droit à la demande de PT Ventures, dans une sentence rendue en février 2019, à hauteur d’une somme de près de 650 millions de dollars plus 15 millions de dollars au titre des frais encourus pour assurer sa défense.

PT Ventures cherchait alors à obtenir, avec succès, par la décision du 16 août 2020 (British Virgin Islands Hight Court, 13 août 2020, PT Ventures SGPS v VIdatel (COM) 2015/0017 et 2019/0067, une décision d’exequatur dans les Iles Vierges Britanniques (siège de Vidatel). Inversement, Vidatel cherchait à obtenir l’annulation de la sentence (ainsi qu’un addendum), sur le fondement de la violation du principe d’égalité et du défaut d’indépendance de deux des arbitres dont le président.

La chambre commerciale internationale de Cour d’appel de Paris (CCIP-CA), le 26 janvier 2021, a rejeté le recours en annulation formé par Vidatel, déclarant irrecevable la demande fondée sur la méconnaissance du principe compétence-compétence tiré de l’irrégularité de la constitution du tribunal du fait de la violation du principe d’égalité et rejetant la demande l’annulation de la sentence sur le fondement du défaut d’indépendance des arbitres, le tout dans un long arrêt qui propose des innovations, dont certaines sont véritablement surprenantes, à la fois sur la question du principe d’égalité et sur l’obligation de révélation.

Le principe d’égalité

Le principe d’égalité au sens de l’affaire Dutco et sa mise en œuvre était en jeu ici, comme il l’avait été devant le juge des Iles Vierges Britannique, l’arrêt de la Hight Court citant, à l’envi, les consultations rendues par des professeurs français, rare mise en valeur de la doctrine française dans la jurisprudence de common law.

Le débat se présentait de manière voisine devant la Cour d’appel de Paris. Vidatel, l’auteur du recours en annulation considérait en effet que la Cour de la CCI avait violé l’accord des parties, en désignant, sur le fondement des articles  11.6 et 12.8 du Règlement de la CCI, en désignant d’office les 5 arbitres. Rappelons là encore que PT Ventures considérait au contraire que, si l’on avait respecté la clause compromissoire, il en serait résulté une rupture d’égalité en « défaveur » du demandeur qui se serait retrouvé à « 3 contre 1 », de telle manière que la Cour de la CCI a eu raison de désigner les 5 arbitres, tandis que Vidatel considérait que l’impartialité des arbitres était la seule aune de l’appréciation de la validité de la constitution du tribunal d’arbitral, de sorte que la Cour de la CCI avait usurpé la place du Tribunal arbitral dans l’appréciation de la clause compromissoire, de sorte qu’elle avait violé le principe compétence-compétence.

Pour le dire autrement, il s’agissait de préciser les conditions de la mise en œuvre du principe d’égalité. Dans sa conception stricte, ou originelle, processuelle, il s’agit simplement d’assurer aux parties la possibilité de participer à la constitution du tribunal arbitral, tandis que dans une conception plus substantielle, ou en tout cas élargie, il s’agirait, éventuellement, de pallier l’impartialité, un éventuel soupçon à tout le moins, des arbitres dans la situation proposée par la clause compromissoire en l’espèce : trois parties ayant un intérêt lié désignant chacun un arbitre, contre l’autre désignant le sien, l’inégalité résultant alors de cette différence.

La Cour d’appel de Paris considère toutefois que ce grief est irrecevable, sur le fondement de l’article 1466 du Code de procédure civile, dans la mesure où Vidatel avait, en signant l’acte de mission émis une réserve vague, « sur la question de la constitution irrégulière du tribunal », sans envisager les griefs qu’elle développait dans son recours (points 67 s).

Elle n’en oublie cependant pas la question des conditions de la désignation des arbitres. Elle rend alors une décision en forme d’hommage à la rédaction du règlement de la CCI. En jeu ses articles 11.6 (« Sous réserve des conventions particulières des parties, le tribunal arbitral est constitué conformément aux dispositions des articles 12 et 13 »), 12.8 (Cf. supra) et 41 (« Dans tous les cas non visés expressément au Règlement, la Cour et le tribunal arbitral procèdent en s’inspirant du Règlement et en faisant tous les efforts pour que la sentence soit susceptible de sanction légale »).

La combinaison de ces règles, et la difficulté de la constitution du tribunal telle que soulevée par PT Ventures, justifiait ainsi la constitution du tribunal, le tout en prenant parti sur la question du principe d’égalité :

« Il incombait donc bien à la CCI, en tant que centre chargé d’organiser l’arbitrage, compte tenu de l’opposition des parties, d’organiser les modalités de désignation des arbitres conformément à son Règlement, et ce dans des conditions telles qu’elles permettaient de satisfaire au principe d’ordre public de l’égalité des parties dans la désignation des arbitres, qui suppose la possibilité pour chaque partie de pouvoir participer de manière égale à la constitution d’un tribunal arbitral » (Point 63). Elle précise que « si au jour de la conclusion de la clause compromissoire, il était conforme audit principe de prévoir que chacune des parties au pacte d’actionnaires puisse effectivement être en mesure de désigner un arbitre, au jour où le litige est né, ce principe de l’égalité doit s’apprécier non plus seulement au regard de la qualité des parties au contrat, mais aussi au regard des prétentions et des intérêts de chacune des parties au litige. Ce faisant,si plusieurs d’entre elles sont susceptibles de défendre des intérêts communs et partagés contre une seule autre, il convient de veiller à constituer un tribunal arbitral permettant d’en garantir le respect ».

Cette solution modifie en profondeur de la consistance du principe d’égalité des parties, vers la conception substantielle plus haut envisagée en tant que la Cour affirme expressément, pour valider la désignation par la CCI, que ce principe s’apprécie au regard de l’exigence d’indépendance, en ce que le déséquilibre dans le ratio entre le nombre d’arbitres et le nombre d’intérêts en jeu, est susceptible de violer l’exigence d’indépendance, donc le principe d’égalité. De ce fait, le principe d’égalité ne s’apprécie plus simplement en tant que vérifiant le droit d’accès à l’arbitre, comme c’était le cas dans la configuration de l’arrêt Dutco, où une clause compromissoire proposait la désignation de trois arbitres dans un contrat multipartite où plus de deux intérêts divergents s’opposaient. C’est dans cet esprit  sans doute que l’article 1453 du Code de procédure civile a été rédigé. La question pouvait effectivement se poser de savoir si la situation inverse, celle de l’arrêt Vidatel, supposait la prise en compte du risque de partialité ou d’indépendance. A bien des égards, on pourrait, à l’aune de l’arrêt Vidatel  qui pointe la difficulté, se demander si l’arrêt Dutco  n’envisageait pas, implicitement, cette question, dans la mesure où le fait qu’une partie ne puisse désigner un arbitre laissait entendre que celle-ci aurait pu subir une forme de suspicion de dépendance ou d’impartialité dans le fait qu’elle n’avait pu participer à la constitution du tribunal arbitral. La solution demeure cependant très gênante.

En effet, impliquer la question de l’indépendance ou de l’impartialité, s’il avait fallu respecter la clause, dans l’affaire Vidatel, suppose donc que le risque de dépendance ou d’impartialité est inhérent au fait que trois parties aux intérêts liés désignent un arbitre, contre un arbitre pour l’autre, comme si l’arbitre était par nature, le « représentant » de la partie qui l’a nommé, ce qui, présenté comme une situation qu’il faudrait combattre, par d’autres moyens que le respect des conditions d’indépendance et d’impartialité, est inacceptable. Le soupçon qui, en creux, pèse sur l’arbitre désigné par une partie, au-delà des situations d’arbitrage multipartite s’induit nécessairement de cette solution. Il faudrait modifier toute la conception construire autour de l’interprétation de l’article 1456 du Code de procédure civile : les arbitres désignés par les parties sont, à l’américaine, suspects, à eux de démontrer leur indépendance et leur impartialité

L’obligation de révélation

La solution retenue au regard de la mise en œuvre du principe d’égalité est d’autant plus étonnante que la Cour propose de longs développements sur la question du défaut d’indépendance de deux des arbitres désignés par la CCI.

L’un n’aurait pas révélé les liens entretenus avec l’actionnaire majoritaire de PT Ventures, OI, liens notoires, et avec l’actionnaire majoritaire de OI, non notoires, l’autre n’aurait pas révélé qu’il avait travaillé pendant la période de l’arbitrage pour une société la plus importante du groupe OI, l’un de ses associés ayant été désigné administration de cette société, après la constitution du tribunal arbitral, deux liens notoires.

Dans ce débat deux éléments étaient en jeu.

Le premier est l’appréciation de l’article 1466 du Code de procédure civile qui rend irrecevable une prétention, au stade du recours en annulation, fondée sur la violation de l’obligation de révélation, si le requérant ne l’a pas fait valoir en temps utile, 30 jours dans le Code de procédure civile à compter de la connaissance du fait, solution précisée dans l’article 14.2 du Règlement de la CCI.

S’agissant du premier arbitre, la difficulté reposait sur la combinaison de faits notaires et de faits non notoires. La Cour reprend d’ailleurs la formule déjà utilisée :

« les faits notoires [sont] entendus comme ceux qui recouvrent les informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, cette dispense cesse une fois que l’instance arbitrale est en cours ».

La dispense de révélation des faits notoires au moment de l’acceptation de sa mission, compensée par le « devoir de curiosité » qui pèse sur les parties, cesse ensuite, de telle manière que l’arbitre doit alors révéler toute circonstances nées ensuite, même notoires. Cette solution est plutôt heureuse, elle s’inscrit dans le développement des solutions nées de la saga Tecnimont et de ses suites. L’intérêt de la solution est ici de préciser la notion de faits notoires, informations publiques aisément accessibles, que la partie pouvait donc identifier avant la constitution du tribunal arbitral, et sur le fait que le devoir de curiosité cesse, et inversement l’obligation de révélation reprend toute son ampleur, une fois celui-ci constitué.  

Le second élément est la consistance de l’obligation de révélation de l’article 1456. On sait que celui-ci ne définit pas le contenu de l’obligation de révélation. On sait aussi que deux techniques sont généralement utilisées, celle du standard, classiquement utilisée en droit français, et celle des listes de cas, du type de celles des IBA Rules on conflicts of interest. Le standard français conduit à considérer que doit être révélé tout fait qui, dans l’esprit des parties, est susceptible de créer un doute dans l’esprit d’une partie.

La cour considère, fort du constat de l’imprécision de l’article 1456, que « en l’espèce », il convenait de se référer aux recommandations de la CCI, dont celle intitulée « Guidance Note on  conflict disclosures by arbitrators » de 2016, lesquelles présentent un certain nombre de cas. Et la Cour d’ajouter que :

« En dehors de ces cas caractérisant des causes réputées objectives, l’arbitre est dispensé de déclaration sauf à devoir révéler les circonstances qui, bien que non visées dans cette liste, peuvent être de nature à créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur son indépendance, c’est à dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles » (point 118).

En effet :

« Pour être caractérisé ce doute raisonnable doit résulter d’un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être soit direct parce qu’il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage. A cet égard, lorsque le potentiel conflit d’intérêts est seulement indirect, l’appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l’intensité et la proximité du lien entre l’arbitre, le tiers intéressé et l’une des parties à l’arbitrage ».

La Cour observe ensuite que les liens entre le premier arbitre et un actionnaire influent de OI étaient notoires, puisque faisant l’objet de publication dans la Global Arbitration Review, de sorte que, en application du principe de célérité de l’article 1464, al. 3 du Code de procédure civile, aurait dû conduite VIdatel à en aviser la CCI ; « à défaut, ces parties sont présumées avoir considéré que cette circonstance n’était pas de nature à créer dans leur esprit un doute raisonnable quant à l’indépendance de l’arbitre ». Le même argument est opposé, de manière un peu différente, sur le fondement du principe de loyauté processuelle, dans le cas de l’autre arbitre.

On peut, là encore, être surpris par la solution retenue. AU delà de l’appréciation au fond, on ne peut manquer de relever la tension, la contradiction éventuelle, existant entre la question du contenu de l’obligation de révélation de faits notoires, dont la dispense cesse à compter de la constitution du tribunal arbitral, et le rejet de la demande pour des faits non révélés, qui, parce que notoires, auraient dû être soulevés par Vidatel, soit sur le fondement du principe de célérité soit sur celui de la loyauté processuelle.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :