Extension, loi applicable et autonomie de la clause compromissoire, oppositions française et anglaise
D. Mainguy
1. Comment déterminer la loi applicable à une convention d’arbitrage et comment traiter la question de l’extension d’une clause compromissoire à une partie n’ayant pas participé à la conclusion du contrat est une question devenue classique du droit français de l’arbitrage interne ou international. Après l’affaire Dallah, le même type de questions se pose dans une affaire Kebab-Ji c.KFG par comparaison entre des décisions anglaise, un arrêt de la Hight Court of England and Wales du 29 mars 2019 et un arrêt de la Court of appeal of England and Wales du 20 janvier 2020 (qui fait expressément référence à l’affaire Dallah), et un arrêt du 23 juin 2020 de la Cour d’appel de Paris, l’ensemble en suite d’une sentence arbitrale rendue à Paris le 11 septembre 2017.
2. Dans cette affaire, une société libanaise, Kabab-Ji, exploitant un réseau de franchise de restauration avait conclu avec une société koweitienne, Al-Homaizi Foodstuff Co (AHFC), exploitant déjà de nombreuses franchises de restauration, un contrat de master franchise, Franchise Development Agreement (FDA) , en 2001, lui permettant de développer la franchise Kabab-Ji au Koweït. Le contrat (FDA) prévoyait ainsi l’exploitation de la marque au Koweït, et la conclusion de contrats spécifiques pour chaque point de vente, pendant une durée de dix. En 2011, le terme du contrat survenait sans que les parties ne renouvellent les contrats. La société AHFC avait, pendant l’exécution des contrats, été restructurée, donnant naissance à une société holding, Kout Food Group (KFG), création validée en 2004 par le franchiseur, Kabab-Ji, en ce sens qu’il était convenu que cette création ne devait pas affecter les termes et conditions des contrats conclus par ailleurs entre les parties. Le contrat de Master franchise (FDA) contenait une clause désignant le droit anglais et une clause compromissoire renvoyant au règlement d’arbitrage de la CCI, prévoyant que le siège de l’arbitrage devait se situer à Paris, se dérouler en anglais, mais sans désigner expressément de loi applicable à la clause. En 2015, le franchiseur libanais reprochait au master franchisé koweitien, la holding KFG, l’inexécution des obligations du contrat et « l’utilisation » du savoir-faire pour développer ses propres restaurants, sans l’accord du franchiseur.
Deux questions majeures se posaient alors étant entendu que l’arbitrage ne visait pas, a priori, le contractant premier, AHFC, mais la holding KFG, via le mécanisme de l’extension d’une convention d’arbitrage.
En premier, si le droit anglais devait régir le contrat de master franchise, rien n’était prévu pour la loi application à la convention d’arbitrage, en sorte que l’un, la société libanaise, considérait que la loi du siège, la loi française devait s’appliquer, avec toutes les conséquences qu’il fallait en tirer dont l’extension de l’arbitrage à la holding, et l’autre, la société koweïtienne, qu’il devait s’agir de la loi anglaise, celle-ci ignorant ce mécanisme.
En second, et quand bien même la loi française devait s’appliquer, la partie koweïtienne, la société holding, ne pouvait être liée par la convention d’arbitrage contenue dans le contrat de master franchise.
Sur ces deux questions, la sentence rendue en 2017 considérait que la loi française devait s’appliquer à la convention d’arbitrage et, partant, que la holding était liée par celle-ci, par extension, qu’elle était en outre tenue par les obligations des contrats principaux et la condamnait à payer une indemnité globale de 7 millions de dollars au franchiseur Kabab-Ji. La sentence était rendue à la majorité et l’un des arbitres avait émis une opinion dissidente, en août 2017, indiquant que si l’unanimité s’était faite sur la question de la loi applicable à la convention d’arbitrage et à son extension à la holding, il estimait qu’elle n’était pas codébiteur des obligations principales, dissidence curieuse, car à contretemps et surtout ne portant sur l’essentiel du débat, son point de départ processuel. A la suite de cette sentence, Kabab-Ji avait demandé et obtenu en 2018 l’exequatur de la sentence en Angleterre, contre laquelle une opposition était formée par la holding KFG devant la Hight Court of England and Wales, laquelle, dans le même temps engageait un recours en annulation devant la Cour d’appel de Paris.
3. L’intérêt de cette affaire repose, précisément, sur les deux conceptions opposées de la réponse donnée à la question de l’application de la loi applicable à la convention d’arbitrage et, subséquemment, mais de manière évidemment principale, la question de l’extension de celle-ci à un tiers intéressé. Elle révèle également l’étanchéité des procédures étatiques faisant suite à une sentence arbitrale, qui fait écho aux conceptions nationales de l’institution de l’arbitrage international.
Le paradoxe que l’on peut déjà identifier ici, et qui sert de « fil rouge » aux observations de cette affaire, comme cela avait déjà été le cas de l’affaire Dallah mais que l’on pourrait rapprocher d’autres questions comme celle liée à l’arrêt Putrabali ou le problème de la conformité d’une sentence à la conception nationale de l’ordre public international que peut se faire le juge étatique qui en est saisit, tient à l’opposition du discours existant entre l’uniformité, ou la convergence forte, des points de vue autour de la question de l’autonomie de l’arbitrage international, et la réaction qui en résulte, en termes d’application au cas concret, chez les juges nationaux, pas uniquement, pour une fois, uniquement français, aboutissant au contraire à une hétérogénéité majeure. Dans l’arrêt de la Court of Appeal of English and Wales du 20 janvier 2020 (cf. note infra) par exemple, il est fait références aux deux arbitres ayant émis un vote majoritaire à l’adoption de de la sentence « neither of whom is an English qualified lawyer », à la différence de l’arbitre dissident, ce qui est une curieuse appréciation des qualités des arbitres dans des arbitrages internationaux, d’une part, et une très curieuse appréciation de leurs qualités juridiques, d’autre part.
1. Présentation des affaires Kabab-Ji et Dallah
A. L’affaire Kabab-Ji
4. Les juridictions anglaises se sont prononcées en premier, à la suite de l’exequatur obtenue par Kabab-Ji et l’opposition formée par la holding KFG. La Hight Court of England and Wales (EWCA) a le 29 mars 2019 rendu un jugement rejetant la demande d’exequatur, suivie par la Court of Appeal of England and Wales, le 20 janvier 2020 (English and Wales Court of Appeal (Civ. 6), 20 janv. 2020, n°A4/2019/0944, Kabab-Ji SAL v. Kout Food Group ) laquelle, de surcroît, n’avait pas autorisé les parties à former un pourvoi devant la Cour suprême anglaise. Dans le même temps, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 juin 2020 (Paris, 23 juin 2020, Pôle 1, ch. 1, n°17/22943), rejetait le recours en annulation et, par là-même accordait l’exequatur en France de la sentence, pour autant cependant, que cela présente un quelconque intérêt, en termes de mesures d’exécution, pour Kabab-Ji.
Dans les deux cas, la question de la loi applicable à la convention d’arbitrage et de son extension à la holding KFG était au centre des débats.
5. Pour la EWCA, il convient d’appliquer la méthode tirée de l’affaire Sulamerica (English and Wales Court of Appeal (Civ. 638), n° A3/2012/0249, Sulamérica CIA Nacional de Seguros SA and a. v. Enesa Engenharia SA and a.) à savoir que les règles anglaises de conflit de lois impliquent de considérer 1) si les parties ont expressément choisi la loi applicable à la convention d’arbitrage 2) à défaut, si les parties ont formulé un choix implicite et enfin 3), sinon déterminer quel système juridique est le plus proche et offre les plus réalistes liens avec la convention d’arbitrage, étant entendu que lorsque la convention d’arbitrage est une partie du contrat, le fait que les parties aient choisi un droit applicable au contrat is « an important factor to be taken into account” and “likely…to lead to the conclusion that the parties intended the arbitration agreement to be governed by the same system of law as the substantive contract, unless there are other factors present which point to a different conclusion » et conduisant, parmi ces autres facteurs à tenir pour non déterminant le choix d’un siège de l’arbitrage dans un Etat différent de celui de la loi applicable au contrat. De ce point de vue, le juge anglais choisit une lecture immédiate du contrat de franchise : celui contenait une clause d’élection du droit anglais et une clause compromissoire de telle manière que, sans surprise, il est convaincu par l’argument du conseil de la Holding KFG selon lequel la clause d’electio juris s’étend à la convention d’arbitrage. Un arbitragiste français trouverait ce raisonnement assez frustre, à partir de l’idée selon lequel la clause de loi applicable s’applique à la clause compromissoire parce cette dernière impose aux arbitres d’appliquer « toutes les clauses du contrat ». La clause compromissoire prévoyait que : « (…) Sauf pour les questions qui concernent spécifiquement la Marque, tout ( e) litige, contestation ou action entre le DONNEUR DE LICENCE et le LICENCIÉ relatif à toute question découlant du présent Contrat ou afférente à celui-ci ou à un manquement aux obligations prévues par celui-ci, ce litige, à défaut de règlement amiable, à la demande du DONNEUR DE LICENCE ou du LICENCIÉ, sera définitivement réglé en vertu du Règlement de conciliation et d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitre(s) nommé(s) conformément à ce Règlement. Les arbitre (s) applique/ront les stipulations contenues dans le Contrat. Le ou les arbitre (s) appliquera/ont également les principes de droit généralement reconnus dans le cadre des transactions internationales. Le ou les arbitre (s) peu (ven)t devoir prendre en compte des dispositions impératives de certains pays, à savoir des dispositions qui semble par la suite avoir une influence sur le Contrat. En aucun cas, le ou les arbitre (s) n’appliquera/ont toute règle qui contredit la formulation stricte du Contrat (…). L’arbitrage sera conduit en anglais à Paris, France ».
6. A l’inverse, le juge français de la validité de la sentence développe tout ce que fait l’originalité du droit français de l’arbitrage, pour rejeter le recours en annulation, fondé sur le fait que le tribunal se serait déclaré à tort compétent (CPC, art. 1520, 1°), aurait manqué la mission confiée (CPC, art ; 1520, 3°) et n’aurait pas respecté le principe du contradictoire (CPC, art. 1520, 4°). C’est évidemment le premier point qui importe, celui de la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur le litige, en présence d’un défendeur non partie à la convention d’arbitrage initialement conclue sans elle. Pour parvenir à ce résultat, la holding considérait, et le parallèle avec la conception anglaise devient alors très clair, que le droit anglais devait s’appliquer à la convention d’arbitrage, évitant le phénomène de l’extension, etc. C’est, en effet, tout ce qui fait l’originalité de la jurisprudence et de la doctrine arbitrales, globalement fondée sur une favor arbitratis de longue haleine qui est en jeu. Pour le juge français en effet, la question centrale est celle de l’autonomie de la clause compromissoire. En anglais, le terme « separability » est utilisé, ce qui n’est pas tout à fait équivalent. Le terme « autonomie » fonde en effet, dans une conception fonctionnelle, l’idée selon laquelle les parties, ont, par une logique autonome, élaboré une convention d’arbitrage qui pourrait parfaitement être détaché du contrat qui en est le support, de telle manière que le sort du contrat support de la convention d’arbitrage, sa nullité par exemple, est parfaitement indifférent à la clause compromissoire, ce depuis l’arrêt Gosset de 1963. Ce premier type d’autonomie, qui est reconnu par le droit anglais (English Arbitration Act, 1996 § 7). Or, le droit anglais a, précisément isolé cette logique à cette seule règle, dans le but, majeur, d’éviter les actions dilatoires, visant à demander la nullité du contrat pour éviter l’arbitrage, la clause compromissoire étant alors susceptible de disparaître avec le contrat, conception fondatrice du principe de compétence-compétence. Ce débat est très connu, il ne pose pas de difficulté. Seulement la jurisprudence Sulamerica a, en droit anglais, confiné la question de la « separability » de la convention d’arbitrage à ce seul objectif : « its purpose is to give legal effect to that intention, not to insulate the arbitration agreement from the substantive contract for all purpose » (English and Wales Court of Appeal (Civ. 6), 20 janv. 2020, préc. §66), autre propos qui pourrait être l’autre logique, française, de l’autonomie de la clause compromissoire. En effet, depuis les arrêts Hecht en 1972 (Cass. civ. 1ère, 4 juill. 1972, Hecht, n°70-14163, JDI 1972, p. 843, note B. Oppetit, Rev. crit. DIP 1974, p. 82, note P. Level, Rev. arb. 1974, p. 89) et Dalico en 1993 (Cass. civ. 1ère, 20 déc. 1993, n°91-16828, Dalico, JDI 1994, p. 432, note E. Gaillard, Rev. arb. 1994, p. 116, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. DIP 1994, p. 663, note P. Mayer), c’est-à-dire une autonomie, ou une indépendance, le terme étant désormais davantage utilisé, de la convention d’arbitrage à l’égard même du droit applicable au contrat, voire de toute loi nationale applicable au contrat. Cette deuxième conception de l’autonomie suppose donc que l’on identifie la clause compromissoire comme ne relevant pas tout à fait des mêmes logiques que le reste du contrat, en ce que ce type de clause relative au traitement des litiges éventuels, ait une fonction de type juridictionnel, au-delà de sa source conventionnelle, qui conduise à distinguer le droit applicable à la substance du contrat et la loi applicable à la procédure arbitrale. Par conséquent, la loi choisie pour s’appliquer au contrat, voire au litige (à supposer que celui-ci puisse s’élargir à d’autres questions que les suites du contrat) n’a pas d’effet sur la clause compromissoire : celle-ci obéit à un autre ordre juridique que la loi applicable au contrat, sa formation, la qualité de son exécution, sa circulation, sa rupture, etc., l’ordre juridique processuel.
7. Là se situe la divergence, majeure, entre les décisions rendues par les juges anglais et français et, partant, entre les conceptions anglaises et français du droit de l’arbitrage international. Il est assez saisissant que chacune des deux Cour d’appel, anglaise et française, utilisent des formules générales se présentant comme des démonstrations objectives sans tenir compte de la position tenue de l’autre côté de la Manche. Le juge de la Court of appeal of England and Wales, utilise des affirmations du type « I am convinced by (le conseil de la holding qui utilise les ressources du droit anglais) » sous-entendant qu’il ignore, volontairement, les conceptions développées par l’autre partie, défendant indirectement la position française, tandis que le juge français utilise des formules générales résumant les jurisprudences Hecht et Dalico comme « En vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence, et son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique », comme si cela relevait de l’évidence, alors qu’il s’agit d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international. Or, du point de vue de la conception française, il n’y a pas de doute que le contrat élisait le droit anglais comme droit applicable au contrat, et que la clause compromissoire, indépendance du contrat support, ne contenait aucune élection expresse de droit applicable à cette convention et à l’arbitrage à venir, sinon l’obligation pour les arbitres d’appliqués « tous les principes de droit généralement reconnus dans le cadre des transactions internationales » ce qui renvoie évidemment au fond du litige, ou, s’agissant de la convention d’arbitrage, à la loi applicable à celle-ci, dans la conception française qui intègre ces « principes de droit généralement reconnus ».
8. La question de l’indépendance de la clause d’arbitrage connaît en droit français une troisième dimension, sa faculté à circuler, soit par transmission, soit par extension à des parties non signataires, notamment à des tiers apparents qui sont, en réalité, des parties impliquées dans l’exécution du contrat et donc des litiges qui pourraient en résulter, de sorte qu’il peut être démontré que ce tiers a connu voire accepté la convention d’arbitrage, ce peu important que le contrat prévoit, en substance, une formulation stricte des accords, voire limite leur circulation : il s’agit là d’une question relevant de la vie du contrat, de laquelle la clause compromissoire est indépendante. Il suffit donc au tribunal arbitral de constater, sur le fondement des éléments qui lui sont présentés, que le tiers était réputé avoir connaissance de la convention et l’avoir ce faisant acceptée.
B. L’affaire Dallah
9. La situation de la précédente affaire est très voisine de celle ayant conduit à l’affaire Dallah. Dans cette affaire la société saoudienne Dallah Real Etate and Tourism avait conclu, en 1995, un contrat préparatoire, un « MOU » (Memorandum of understanding) avec le président de la république du Pakistan, réprésenté par son ministre des affaires religieuses, visant à ce que Dallah acquiert des terrains à La Mecque pour y construire des logements en vue de les louer au Pakistan, pour 99 anspour y loger les pèlerins pakistanais, le Pakistan se réservant la possibilité de constituer un trust pour gérer et entretenir les locaux. Les éléments financiers n’ayant pas reçus d’accord par le Pakistan, le MOU devint caduc fin 1995. Or, le Pakistan avait ensuite créé un trust pour une courte durée, par une ordonnance présidentielle, début 1996, pour organiser la collecte et la gestion de l’épargne des pèlerins, relançant la négociation, aboutissant à la conclusion d’un contrat avec ce trust, contenant une clause compromissoire référant au règlement d’arbitrage de la CCI, avec un siège prévu à Paris. Finalement, le trust prit fin en décembre 1996 et le ministre des affaires religieuses écrivit à Dallah pour lui reprocher la violation de certaines de ses obligations et justifier une résiliation du fait de Dallah, attirant cette dernière devant les juges pakistanais. En réponse, Dallah engageait la procédure d’arbitrage prévue dans le contrat, conclu, avec le trust, contre le gouvernement pakistanais. Une sentence sur la compétence a été rendue, reconnaissant la compétence du tribunal arbitral en 2001, suivi d’une sentence sur le fond, condamnant le gouvernement pakistanais à payer une somme de près de vingt millions de dollars à Dallah, outre les frais d’arbitrage. Dallah a alors cherché à obtenir l’exequatur de la sentence en Angleterre, le gouvernement pakistanais y formant une opposition à celle-ci. Dans le même temps, Dallah avait obtenu l’exequatur de la sentence en France, le gouvernement pakistanais formant en retour un recours en annulation contre les sentences rendues. La situation était donc globalement identique, sur un plan processuel, à celui de l’affaire Kabab-Ji, comme son problème et ses solutions. Il s’agissait en effet de savoir si la clause compromissoire devait être considérée comme relevant de la loi du contrat, auquel le gouvernement pakistanais n’était pas partie, ou si celle-ci, autonome, pouvait être saisie par la loi devant lui être applicable, à savoir, sauf hypothèse de loi applicable choisie pour cette dernière. Le juge anglais a retenu les arguments du gouvernement pakistanais pour annuler l’équivalent britannique d’une ordonnance d’exequatur, solution validée par la Court of Appeal of England and Walles puis par la Cour suprême du Royaume-Uni dans un arrêt du 3 novembre 2010 (Cour suprême du Royaume-Uni, 3 nov. 2020 (UKSC 46), iDallah v. Ministry of religious affairs, JDI 2011, p. 395 note I. Michou).
Pour la Cour d’appel de Paris (Paris 17 févr. 2011, n°09/28533, JDI 2011, p. 395 note I. Michou, JCP 2012, 1140, n°2, obs. Ch. Seraglini, D. 2011, p. 3023, obs. Th. Clay ) en revanche, et sur le fondement de l’article 1502 du Code de procédure, applicable avant la réforme de 2011 (CPC, actuel art. 1520), le recours en annulation doit être rejeté pour les mêmes raisons de fond et de fait que dans l’affaire Kabab-Ji : la clause compromissoire, autonome du contrat, dans son existence comme s’agissant de la loi qui lui est applicable permet de retenir la loi su siège, la loi française, et les conséquences qui en résultent, par exemple en terme d’extension de la clause à un tiers qui a participé à la négociation du contrat.
2. Convergences et divergences des conceptions anglaise et française de l’autonomie de la convention d’arbitrage
10. Dans ces deux cas, les différences entre les conceptions anglaise et française sont majeures. Elles ne doivent cependant pas écarter les points de similitudes.
A. Convergences
11. On peut en premier éliminer la question de la l’autonomie de la clause compromissoire au regard du contrat qui en est le support, règle intégrée dans le corpus législatif des deux pays.
De même, les deux systèmes s’accordent pour admettre que la loi choisie pour une clause compromissoire, même différente de la loi choisie pour le contrat, doit s’appliquer, mais par des moyens différents. Dans l’affaire Dallah, le juge anglais admet que l’extension de la clause compromissoire est possible sur le fondement de l’application de la loi du siège, en fonction de l’article 103, 2 b, de l’English Arbitration Act de 1996 qui reprend la solution de l’article V, I, a, de la Convention de New York (EAA, art. 103, 2, a : « La reconnaissance ou l’exécution de la sentence seront refusées si la partie contre laquelle la sentence est invoquée prouve : (…) que la convention d’arbitrage n’était pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée, ou à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue (…) »), tandis que le juge français y voit l’application d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international qui s’impose à lui.
Par ailleurs, le juge français et le juge anglais s’accordent pour reconnaître un contrôle complet de la sentence, qu’il s’agisse d’un recours contre une ordonnance d’exequatur ou un recours en annulation contre la sentence. La question ne fait pas de doute en droit français de l’arbitrage international, sur le fondement de l’article 1520 du Code de procédure civile, s’agissant du recours en annulation et du recours contre l’ordonnance qui rejette l’exequatur, lequel renvoie aux conditions du recours en annulation (CPC, art. 1520, 1522 et 1524) qui permet au juge de vérifier, par exemple, si le tribunal arbitral était bien compétent par l’examen de tous les faits qui lui ont été soumis (Comp. Cass. civ.,1ère, 6 janv. 1987, Southern Pacific Properties Ltd et Southern Pacific Ltd (SPP) c/ République arabe d’Egypte, Rev. arb. 1987, p. 469, note Ph. Leboulanger, JDI 1987, p. 638, note B. Goldman), et en raison de solution retenue par le juge anglais. Cette solution anglaise n’avait rien d’évident dans la mesure où la reconnaissance et l’exécution (EAA, § 102 à 104) et le recours en annulation (EAA, art. 66 et 67) reposent sur des logiques différentes, le recours en annulation pouvant même être concurrencé par un recours sur le fond par un « appeal on the point of law (EEA, art. 69). Or, le juge reconnaît un recours plein dans les deux situations, ce que confirme l’arrêt anglais Dallah (Cour suprême du Royaume-Uni, 3 nov. 2020 (UKSC 46), iDallah v. Ministry of religious affairs,préc. §86).
B. Divergences
12. En revanche, les divergences sont essentielles sur d’autres points.
13. Dans l’affaire Dallah par exemple, la Cour suprême du Royaume-Uni admettait le principe de l’extension de la clause compromissoire : « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle, leurs activités et les relations commerciales habituelles existant entre les parties font présumer qu’elles ont accepté la clause d’arbitrage dont elles connaissaient l’existence et la portée, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait », utilisant une formule qui pourrait être prise sous la plume d’un juge français. Toutefois, pour le juge anglais, il s’agit de démontrer qu’il puisse être démontré que le tiers ait émis la volonté, de manière explicite ou implicite, d’être une partie au contrat, où le juge français en fait une présomption tirée de l’implication du tiers dans la négociation ou l’exécution du contrat : dans l’affaire Dallah cette différence aboutit à deux décisions, anglaises et françaises, radicalement distinctes dans la mesure où le juge anglais interprète de manière très restrictive cette possibilité. Ainsi le fait que le ministre pakistanais ait signifié à Dallah la résiliation du contrat (et l’ait assigné devant un juge local) est considéré comme étant réalisé pour le compte du trust, pourtant disparu, alors que le juge français s’en tient à l’apparence de se présenter comme une partie.
14. La divergence est cependant encore plus criante dans l’affaire Kabab-Ji où les juges français et anglais retiennent une loi applicable différente à la convention d’arbitrage. Pourtant, s’agissant d’une question de reconnaissance et d’exécution, l’article 103, 2, a de l’EAA précise que, à défaut de d’indication des parties sur la loi applicable, le juge doit appliquer la loi du pays où la sentence a été rendue, la loi du siège. Pour le juge français en revanche cette solution ne résulte pas d’une transposition de la Convention de New York mais d’une règle qu’il dit être une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international, en tant qu’elle résulte de la deuxième logique de la question de l’autonomie de la convention d’arbitrage, à l’endroit de la loi du contrat qui en est le support (faute de choix).
Dans l’affaire Dallah, cette divergence entre des méthodes conflictuelle ou matérielle n’avait pas de portée en soi puisque c’est, en aval, sur l’interprétation de l’implication du tiers que se jouait cette divergence. Dans l’affaire Kabab-Ji en revanche, cette divergence apparaît de manière criante, sur la base, pour le juge anglais d’un raisonnement visant à considérer que la loi applicable à la convention d’arbitrage découlait du choix de la loi applicable au contrat, remettant en cause la deuxième logique de l’autonomie de la convention d’arbitrage. La clause de loi applicable se présentait pourtant de manière ordinaire : « this agreement shall be governed by and construed in accordance with the laws of England », tandis que la convention d’arbitrage précisait entre autres éléments que « the arbitrator(s) shall apply the provisionns contained in the Agreement » et poursuivait « the arbitrator(s) shall also apply principles of law generally recognised in international transactions » et qu’un autre article du contrat indiquait que « this Agreement (…) shall be considered as a whole ».
Plusieurs interprétations sont possibles : une interprétation littérale et contractuelle implique de considérer le contrat comme un tout de telle manière que la loi élue l’est pour l’ensemble des stipulations du contrat, dont la convention d’arbitrage. C’est toutefois faire peu de cas d’une interprétation arbitrale, fondée sur la règle de l’autonomie de la convention d’arbitrage qui « exclut » celle-ci du choix de la loi applicable à la substance du contrat, y compris dans la loi anglaise, et de s’écarter de la méthode « sulamerica » (cf. supra, note 3), lorsque les parties n’ont pas formulé un choix explicite de la loi applicable à la convention d’arbitrage. Rappelons qu’elle se présente ainsi 1) hypothèse d’un choix explicite de la loi ‘applicable à la convention d’arbitrage, 2) à défaut, existence d’un choix implicite (par une référence à une norme particulière par exemple, 3) sinon identifier le système juridique le plus proche où le choix d’une loi applicable au contrat est un indice important, sauf la présence d’autres facteurs. Le piège tendu invite alors à éviter l’application à la convention d’arbitrage de la loi du siège de l’arbitrage, telle que formulé dans la loi anglaise. En effet, on peut penser que bien des contrats internationaux contenant une convention d’arbitrage se présentent à peu près comme le contrat litigieux : une clause de loi applicable, une convention d’arbitrage muette et une clause d’intégralité du contrat, de telle manière qu’il serait impossible, alors, d’appliquer la loi du siège à la convention d’arbitrage, notamment lorsque la loi anglaise est choisie comme loi applicable au contrat. D’ailleurs, l’arrêt anglais du 20 janvier 2020 s’étend tellement sur l’interprétation littérale, et exclusivement contractuelle, qu’il choisit de retenir (points 64 à 70), pour finalement considérer qu’il s’agissait d’un choix exprès de la loi anglaise pour gouverner la convention d’arbitrage, que cela en devient presque suspect.
15. La divergence entre le juge français et le juge anglais sur la question de la deuxième dimension de l’autonomie de la clause compromissoire fait écho à la question de savoir si la règle, au moins française, est une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international où il s’agit d’une règle matérielle véritablement internationale en tant qu’elle ne dépendrait pas de sa validation par un ordre juridique étatique quelconque. Une partie de la doctrine milite, classiquement, pour cette dernière considération, retenant comme participant de ces règles celles qui font l’objet d’un consensus interétatique et/ou des règles interétatiques applicables à l’arbitrage (Comp. E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, COll. Académie de dr. int. de La Haye, 2008, J.-B. Racine, « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », Rev. arb.2005, p. 305, P. Mayer, « Le mythe de « l’ordre juridique de base », Et. Goldman, Litec, 1982, p. 199), tandis que l’on peut considérer que la source, interne, de la règle matérielle internationale suffit à l’asseoir juridiquement, ce d’autant que l’idée que la volonté, seule, permet d’échapper à tout ordre juridique étatique, sans que cette volonté tire elle-même sa force normative d’une norme quelconque, étatique ou interétatique, revient à en faire une norme d’un droit naturel de l’arbitrage international qui reste à déterminer. Il est évident, cependant, que la conception française de cette règle participe de la favor arbitratis traditionnelle que soutient le droit français de l’arbitrage ; elle demeure contingente, ce que le juge anglais révèle de manière magistrale.
On pourrait aussi déceler, derrière le raisonnement anglais, une forme de souverainisme juridique inversé, une forme d’extraterritorialité de sa propre norme, en tant que ces décisions, visent, précisément, à éviter qu’un litige échappe à la loi et au juge anglais, globalement parallèle à la conception française qui, à l’inverse, permet d’accueillir, comme, mais pour des raisons différentes, la jurisprudence Norsolor-Hilmarton-Putrabali.