1. Le concept de guerre économique
La formule « guerre économique », à la supposer valide, recouvre plusieurs réalités distinctes.
La première, la plus connue, renvoie à l’idée que des « économies », au sens où ces économies serait étatiques, sont en concurrence et se livrent une « guerre ».
Elle suppose ainsi que ces « économies » soient rattachées à des Etats ou des groupes d’Etats et que, dans cette logique, une « concurrence », plus ou moins hostile, soit livrée et que le résultat soit à somme nulle, avec des gagnants et des perdants. Cette « guerre » se présente alors comme une alternative, souvent présentée comme pacifique, à la guerre, la vraie, militaire.
Cette conception renvoie à des logiques de théorie économique classique ou néoclassique. Ainsi, d’un point de vue institutionnel, la lutte contre la guerre économique fut largement utilisée comme argument pour justifier les enjeux d’un « conflit » auquel se livrèrent les principales nations dans les années 30 préfigurant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, ce qui supposerait, dans l’esprit américain de l’époque que ce conflit aurait été, au moins au départ, une « guerre économique ». Pour préparer l’après guerre et un monde différent, Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt inclurent une place importante aux questions économiques dans le projet de Charte de l’Atlantique du 14 août 1941 et notamment le principe de l’égalité des nations comme fondement d’un futur droit du commerce international. D’un projet soumis par le Département d’État américain en novembre 1945, commencèrent des négociations internationales à Londres au début 1946 sous l’égide du nouveau Conseil économique et social de l’ONU pour se mettre d’accord sur la création d’une « Organisation internationale du commerce » (OIC) avec pour mission de gérer le nouvel ordre commercial international. Le 24 mars 1948, cinquante-trois États signèrent la Charte de La Havane de 1948. Vingt-trois de ces pays dont les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France décidèrent en 1947 d’appliquer entre eux et à titre provisoire dès le 1er janvier 1948 la « partie IV » de cette Charte de La Havane intitulée « Politique commerciale », de venant le l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, GATT (General Agreement on Tariffs and Trade)., appelé à devenir général et permanent, et ce jusqu’en 1995 et la création de la nouvelle Organisation mondiale du commerce (OMC). On peut rapidement présenter l’OMC comme l’organe international visant à assurer, de manière multilatérale le « cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres en ce qui concerne les questions liées aux accords et instruments juridiques connexes repris dans les Annexes » de l’Accord (Charte OMC, art. 1.1).
A un niveau inférieur, on parle parfois de « guerre économique » pour viser des hypothèses de concurrence entre deux ou plusieurs entreprises sur un marché. C’est particulièrement le cas de marchés oligopolistiques : la guerre des prix entre entreprises de la grande distribution, la guerre des marchés sur le marché de l’aviation de transport ou de défense, tous les moyens seraient bons pour emporter un marché, y compris les pires, ententes anticoncurrentielles, espionnage industriel voire institutionnel, chantage, corruption, etc., jusqu’à ce que des gouvernements décident d’y mettre fin sur le fondement d’une législation et de procédures adaptées.
Cette première conception, assez familière, confond cependant les logiques de la concurrence et un vocabulaire guerrier qui peut être celui des entreprises en question et de leurs dirigeants ou salariés, mais sans avoir aucun rapport avec la notion de « guerre » sauf à considérer les entreprises belligérantes comme se comportant à l’instar d’Etat ou au contraire de guérilleros ou de « seigneurs de guerre ». Il demeure que bien des litiges importants entre entreprise mettent en jeu des moyens qui, parfois, dépassent les seules parties à un litige privé, aussi important soit-il.
Elle peut être aussi considérée comme un objectif de guerre militaire : un Etat vise à capter les richesses d’un autre et engage, faute de pouvoir utiliser d’autres moyens, diplomatiques ou économiques, une opération militaire de conquête, aboutissant à l’appropriation du territoire convoité et, ce faisant ces richesses économiques.
C’est une conception brutale qui renvoie plutôt aux logiques du passé militaire et économique. Autrefois, par exemple, des Etats utilisaient la technique du « blocus continental » fut utilisée par napoléon 1er contre l’Angleterre : la rupture de la Paix d’Amiens, conclue en 1802 par l’Empire français au fait de sa gloire, attribuée aux Anglais, aboutit à la bataille de Trafalgar, la cession de la Louisiane en 1803 et une réponse militaire, le Blocus continental, décidée en 1806 et qui dura théoriquement jusqu’en 1814, l’abdication de l’Empereur et son départ à l’ile d’Elbe. L’échec patent de l’outil renvoie à l’échec de pratiquement tous les blocus ainsi organisés dans l’histoire.
Cette conception renvoie également à des situations de guerre dans lesquelles le motif économique est premier[1]. Le dernier exemple probant de cette conception est l’invasion, en 1990, par l’Iraq du Koweit, avec, en point de mire les puits de pétrole de la cible, avec les conséquences que l’on sait.
Elle est dépassée pour au moins deux raisons. En premier, les logiques de blocs, d’alliances ou d’intérêts aboutit à contrer ce type d’initiative, soit par une action militaire en réponse, comme ce fut le cas de la première guerre d’Iraq de 1991, ou à des sanctions économiques, aux succès variable. En second, la plupart des richesses susceptibles d’être convoitées sont aujourd’hui, de plus en plus, immatérielles. Il serait inutile et vain par exemple pour un Etat de songer à envahir la Californie pour tenter de s’approprier les richesses des sociétés américaines qui y ont leur siège.
La notion de « guerre économique », aujourd’hui, peut surtout renvoyer à un certain nombre d’actions, d’Etats ou de groupements d’Etats, engageant des outils, des armes, particuliers. La guerre est en effet traditionnellement considérée comme une relation conflictuelle, le conflit étant préalable à la guerre elle-même, et engagée dans le but de conquérir ou défendre un territoire, des droits ou bien des idées. La Première guerre mondiale, la Seconde guerre mondiale par exemple empruntent, selon les belligérants, plusieurs de ces caractères.
Une guerre pourrait ainsi survenir entre un Etat, ou ses organes, et une entreprise, que ce soit au niveau interne ou international. C’est d’ailleurs le domaine dans lequel la littérature juridique sur la « guerre économique » prospère, notamment dans des litiges intéressant la mise en œuvre des règles du droit de la concurrence, ou des sanctions de faits de corruption ou de contournement de règles internes d’embargo[2]. Or, il est évident que les nouveaux enjeux de la mondialisation économique aboutissent à des mises sous tension de relations jusqu’alors isolées d’Etats ou de groupes d’Etats avec des entreprises nationales ou étrangères. Les affaires Microsoft ou Google illustrent par exemple la question de la compatibilité entre les règles du droit européen de la concurrence et les pratiques de sociétés américaines. A l’inverse, et c’est plus souvent sous cet angle que ces questions sont abordées, les procédures lancées par les autorités américaines contre des entreprises européennes leur imposent d’intégrer, en France, les impératifs substantiels et processuels américains et la cohorte de peines, souvent très élevées.
Placée sur le terrain économique, la guerre se présente alors comme une logique radicalement différente tout en empruntant plusieurs de ces caractères.
Il s’agit en effet d’engager un certain de moyens, brutaux, en vue d’obtenir un gain particulier, ici purement économique. Le terrain de la guerre économique est alors le « marché » ou plus exactement « un » marché, général ou spécifique, via des armes, ici des armes juridiques, avec des soldats qui sont des juristes.
Ce terrain de guerre est observé depuis plusieurs années par plusieurs auteurs autour d’une « géopolitique du droit »[3] ou d’une véritable « guerre économique »[4].
Le terme de « Guerre du droit » ou « lawfare » est parfois utilisé. La question de la guerre du droit » ou de la guerre des droits, de « guerre pour le droit » ou encore de la guerre des juristes, pourrait sembler exagérée : le terme de « guerre » évoque des empoignades, des batailles, des morts et des blessés, des vainqueurs des et vaincus, etc. La formule « guerre du droit » évoque en outre l’utilisation de forces armées comme illustration d’une « guerre juste ». une guerre pour le droit, comme ce fut le cas en en Afghanistan en 2001 puis en Irak en 2003, en Lybie ou en Syrie tout récemment, et autrefois en Serbie, lorsqu’il s’était agi de bombarder Belgrade en 1999 en dehors de toute forme de légalité internationale[5], ce qui renvoie au problème plus global, et philosophique, de la « guerre juste ».Il ne s’agit pas ici de proposer une présentation de cette question, mais de présenter certains antagonismes, souvent implicites, mais parfaitement présents dans les discours sur le droit, qu’ils soient internes, européens ou internationaux, et que le juriste est finalement une sorte de soldat du droit. Il est une sorte de soldat en ce sens que ces propos sont souvent l’occasion de « combats » : controverses doctrinales ou procès sont des formes de batailles. Il l’est également parce que le juriste n’est pas, ou rarement, le « général en chef » de ces combats.
Dans la doctrine américaine[6], le concept de « guerre du droit » est invoqué pour dénoncer une tendance « transnationale » visant à imposer des normes internationales, issues de conventions internationales ou de décisions des juges internationaux, supérieures à la Constitution américaine. Or ces conventions (l’exemple à la base de cette controverse est le refus par le sénat américain de ratifier en 2012 une convention adoptée par l’assemblée générale des nations unies sur les droits des personnes handicapée de 2006) ou ces normes internationales auraient vocation à s’imposer aux normes constitutionnelles internes alors même qu’elles ne seraient pas adoptées de manière démocratique, y compris lorsqu’il s’agit de normes jurisprudentielles qui ne sont pas issues de convention adoptées ou ratifiées. La critique ressemble, et intègre d’ailleurs, la critique « souverainiste » anti-européenne, au motif que les règles du droit de l’Union européenne seraient de source administrative, alors que les tribunaux nationaux, en validant les décisions des cours européennes, CJUE ou CEDH, agiraient au détriment des parlements nationaux. Ce débat n’est pas très éloigné de celui qui, dans la doctrine française par exemple, dénie aux juges, quels qu’ils soient, la faculté de créer des normes juridiques contredisant les lois votées par le parlement. Ce débat, qui est pour l’essentiel une question de science politique, ne sera abordé que dans la mesure où il intéresse les questions de droit ou de théorie du droit ou relative au discours des juristes.
La guerre du droit est en effet essentiellement, dans cet ouvrage comme une présentation des débats, légers ou graves, souvent irréductibles entre les juristes sur le droit, une question relative à la place des juristes et ce faisant, sur leur rôle.
Ces logiques de guerre, guerre économique ou guerre du droit, est cependant déconnectée des logiques de la guerre militaire. Elle ne l’est pas toujours d’ailleurs. Le droit romain a sans été au moins aussi efficace que les légions romaines pour asseoir l’autorité de Rome dans les territoires conquis, les colonies romaines. Le Code civil fut ainsi la meilleure arme de conquête de l’Empire français des guerres napoléoniennes, comme le droit américain est une partie de l’intendance qui assiste les interventions américaines.
La guerre économique moderne s’est déplacée, disons depuis la fin de la Seconde guerre mondiale vers de purs terrains économiques. Il en résulte que les acteurs d’une guerre économique ne sont pas nécessairement des ennemis sur le terrain militaire. La France, par exemple, commerce avec certains de ses adversaires, comme les Etats-Unis commerçaient avec l’Union soviétique[7]. Il en résulte également qu’un Etat en paix, voire en situation d’alliance forte avec d’autres Etats, se trouve en situation de guerre économique avec ces derniers.
Une telle guerre économique suppose des stratégies juridiques et économiques conduites par un Etat ou plus exactement par un ensemble complexe dans lequel un Etat et des entreprises conduisent ce type de stratégie, dans l’objectif direct ou indirecte d’opérer l’acquisition d’entreprises nationales.
L’exemple récent de l’acquisition de l’entreprise française Alsthom illustre cette situation : après des poursuites engagées par un procureur américain sur le fondement d’une loi anticorruption américaine dont Alsthom aurait été mêlée, la conduisant à conclure un accord, sans possibilité de recours, l’entreprise est finalement cédée à l’entreprise General Electric, dans une ambiance de scandale politique national[8].
2. Le droit de la guerre économique
La formule « droit de la guerre économique » n’est pas reconnue dans le vocabulaire et la doctrine juridiques européens ou français. Elle s’inscrit dans les logiques du « droit du contentieux économique », lequel, lorsqu’il est ainsi présenté, s’exprime essentiellement sur le terrain des règles privées internes[9] ou dans le contexte du droit public économique, interne ou international et plus spécifiquement, s’agissant de ses aspects de droit privé, comme un ensemble d’éléments de droit des affaires, de droit économique ou de droit du commerce international.
L’objectif, ici, n’est pas d’envisager une théorie du droit de la guerre économique, se substituant à un ensemble de règles intéressant le droit du contentieux économique, privé, public, interne ou international, dans la mesure où ces travaux existent largement, mais d’envisager les règles d’un droit de la guerre économique du point de vue des opérateurs privés, qu’elle soit conduite par un autre opérateur privé et/ou par un organe étatique étranger, c’est-à-dire de présenter la situation des ces entreprises placées dans un conflit mené avec des moyens extraordinaires, ceux d’un Etat, même si d’autres situations plus ordinaires pourront être envisagées, internes par exemple, ne serait-ce que pour présenter quelques situations méritant améliorations ou réflexions, comme la question française de l’action de groupe, cuisant échec, ou des « procédures baillons » par exemple.
C’est d’ailleurs le paradoxe de la mondialisation que d’éprouver, sur le terrain économique, les nerfs des dirigeants de pays amis et ce, à travers des outils juridiques discrets, mais efficaces, dont le plus connues, et le plus éprouvant, est le mécanisme de l’extraterritorialité d’un droit national.
C’est d’ailleurs le paradoxe de la mondialisation que d’éprouver, sur le terrain économique, les nerfs des dirigeants de pays amis et ce, à travers des outils juridiques discrets, mais efficaces, dont le plus connues, et le plus éprouvant, est le phénomène juridique de l’extraterritorialité d’un droit national.
Si chaque pays dispose, comme conséquence de l’expression de sa souveraineté juridique, de la possibilité de disposer de son propre droit sous la réserve d’accords internationaux réglant les conflits de lois ou unifiant, sur des points particuliers, les droits des Etats qui les signent et les ratifient, il en résulte que chaque droit interne entre en concurrence avec le droit interne des autres Etats avec lequel ses ressortissants sont en relation.
Cette situation est le fondement ordinaire des règles du droit international privé, théorisé notamment en France.
Un droit, ou un mécanisme juridique, présente cependant un caractère extraterritorial lorsque le droit interne d’un Etat présente des effets sur le territoire ou les actions d’un autre Etat, contre les intérêts de ces acteurs.
L’exemple le plus connu est celui du droit américain anti-corruption ou de fixation d’embargos économique, permettant à diverses institutions des Etats-Unis de sanctionner les actions d’un opérateur d’un autre Etat qui contreviendraient aux règles des Etats-Unis. Par exemple, en 2012, la société BNP Paribas a dû payer une amende de dix milliards de dollars pour avoir effectué des opérations avec des pays sous embargo commercial américain, pour pouvoir continuer à effectuer des opérations sur le territoire des Etats-Unis (cf. infra ). Le résultat aboutit à interdire à cet opérateur d’effectuer des opérations, valides et légales, en vertu du droit français ou du droit du pays dans lequel ces opérations s’effectuent, sous peine de se voir interdire l’accès au marché américain et du paiement de très lourdes amendes.
Les débats et réactions, en France ou ailleurs, que ces opérations américaines ont engendrées sont placées sous le coup de l’émotion, dont la moindre des réactions consiste à les considérer comme scandaleuses, unilatérales voire constitutives de véritables hold-up contre de riches entreprises non américaines, avec parfois, en point de mire, leur acquisition par des entreprises américaines, comme ce fut le cas d’Alsthom Energie ou de Tecnip.
Le débat peut être plus nuancé et ce pour au moins trois raisons.
La première tient au fait que l’arme de l’extraterritorialité n’est pas réservée aux institutions juridiques américaines : il s’agit d’un effet de règles internes connues dans pratiquement tous les droits, y compris français. L’exemple des lois de police ou de la conception française de l’ordre public international est un exemple probant de règles à vocation ou à effet extraterritorial. De la même manière le droit européen de la concurrence produit des effets extraterritoriaux majeurs, par la théorie dite de l’effet, qui permet aux autorités européennes de concurrence de saisir et éventuellement sanctionner des pratiques supposées anticoncurrentielles réalisées par des entreprises situées hors du territoire de l’Union européenne mais ayant un effet sur ce territoire : les exemples récents des sanctions contre des géants de l’Internet sont un excellent exemple de l’effet extraterritorial des règles du droit européen de la concurrence.
La deuxième consiste à considérer que la question de la mise en œuvre de règles extraterritoriales, par exemple les lois anticorruption ou d’embargo américaines, sont de purs rapports de force, politiques ou économiques, alors qu’il s’agit, le plus souvent de techniques questions de procédure civile ou pénale, souvent parfaitement maîtrisées par les institutions américaines, par des juristes formés et efficaces, mais largement ignorées et parfois méprisées par les dirigeants économiques français par exemple. Or, ce sont les ressorts de ces règles processuelles, y compris les moyens de défense du droit français, les boucliers en quelque sorte, qui permettent de comprendre et de lutter à armes égales.
La troisième consiste à confondre les effets de règles extraterritoriales à l’étranger, avec des effets extraterritoriaux de décisions économiques ou politiques. Par exemple, le boycott de produits d’un Etat par les consommateurs d’un autre Etat, ou encore la décision d’une autorité étatique de renforcer ses normes de sécurité de la fabrication d’un produit fabriqué à l’étranger a évidemment des effets internationaux, mais sans que ces effets puissent être rattachés à des questions d’extraterritorialité de règles internes[10].
Si la logique de l’extraterritorialité d’un droit est ainsi l’arme la plus connue ou la plus redoutée, et sans doute la plus radicale et la plus brutale, de la guerre économique, elle n’est pas isolée.
Elle s’exprime de manière plus suave par exemple à travers la « guerre » ou la « concurrence » des droits, et notamment celle existant entre les droits de common law et les droits romano-germaniques dits de civil law mais également bien d’autres outils, mais aussi à travers des actions comme les « procédures baillons » par exemple.
De manière défensive en revanche, la question de pose de savoir si des outils existent et sont, ou non, utilisés, à la fois en termes législatifs, mais aussi contractuels par exemple.
L’objectif est alors de présenter, sans exhaustivité bien entendu, les bases de cette guerre économique, à travers le terrain de guerre le marché, les armes juridiques et les soldats utilisés dans cette guerre et de mesurer l’acuité et l’efficacité des « armées en présence ».
L’art de la guerre, depuis Clausewitz, suppose en effet de maîtriser les « règles d’engagement » ou la capacité d’initiative ; Sur le terrain militaire, il s’agit de la supériorité stratégique et tactique qui repose notamment sur l’emploi de techniques militaires les plus efficaces : la phalange grecque, la légion romaine, le chevalier lourd du Moyen-âge, l’infanterie espagnole, la colonne d’infanterie napoléonienne, le canon de 75 français, la bombe atomique, les outils de guerre électroniques, etc., constituent autant d’exemple d’innovation militaires qui offrent, un temps au moins, un avantage décisif sur le champ de bataille.
Les « règles d’engagement » ou la supériorité stratégique, les armes et les soldats forment ainsi un tout, à la fois dans la guerre offensive que dans la guerre défensive.
- Ce sont ces éléments qu’il s’agit ainsi de repérer, et de mesurer ici, dans le contexte général dans lequel les pays européens, la France notamment, sont ou seraient la cible d’initiative de guerre économique livrée par les Etats-Unis, pourtant le meilleur allié de la France et de l’Europe. L’objectif n’est pas de démontrer que les considérations, souvent justes en réponse à ces objectifs, sont justes et reflètent l’essentiel de la difficulté posée par la question générale de la « guerre économique ».
A travers plusieurs exemples, qui en laisseront sans doute bien d’autres de côté, il s’agira de montrer que l’art de la guerre économique est aussi un art juridique, fait d’une compréhension et d’une pratique fine des règles de fond ou de procédure.
Or, on pourrait se demander quelle pourrait être l’intérêt d’une réflexion juridique sur ces questions tant les ouvrages de vulgarisation font l’impasse sur les règles de droit en jeu, sinon pour utiliser des formules générales, où un juriste attentif pourrait observer quelques approximations ou confusions, à l’exception d’un ouvrage récent qui, au contraire, en appelle au secours des juristes dans ce débat[11].
L’art juridique de la guerre économique peut alors se décliner en fonction d’un vocabulaire emprunté à l’art de la guerre à travers trois situations, celle du champ de bataille sur lequel se livre cette guerre, les armes utilisées, c’est-à-dire les règles juridique en jeu qui permettront de déceler les dessous véritables que masquent des considérations générales ou simplement politiques, voire émotionnelles, et les soldats employés sur ce terrain, les juristes.
[1] F. Coulomb, « Pour une nouvelle conceptualisation de la guerre économique », Guerre et Économie, in Référence Géopolitique, Ellipse, 2003.
[2] Comp. A. Laidi, Le droit, nouvelle arme de la guerre économique, Acte sud, 2019, A. Garapon et P. Servan-Schreider (dir.), Deals de justice, le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2013.
[3] O. de Maison Rouge, Droit de l’intelligence économique, – patrimoine informationnel et secrets d’affaires, Lamy, coll. Axe Droit, 2012, « La géopolitique du droit, l’autre champ de bataille de la guerre économique », 20 mai 2013, portail de l’intelligence économique,
[4] A. Laidi, Le droit, nouvelle arme de la guerre économique, Acte sud, 2019.
[5] Comp. E. Thiers « La « guerre du droit » : forme moderne de la guerre juste ?. » Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle 1/2005, p. 5-8.
[6] Cf. J. Kyl, D.J. Feith, J. Fonte, « The War of Law, how New International Law )Undermines Democratic sovereinety », Foreign Affairs, juill.-août 2013.
[7] On connaît d’ailleurs la phrase fameuse attribuée à Lénine : « les capitalistes nous vendront les cordes avec lesquelles nous les pendrons ».
[8] Cf. O. Marleix (Prés.), Rapp. Ass. Nat. Commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, n°897, 2018.
[9] E. Putman, Contentieux économique, Puf, 1992.
[10] On peut prendre l’exemple de l’arrêt, fin 2019, de la production du Boeing 737MAXX, après deux accidents courant 2019, résultant d’une décision de l’autorité chinoise de régulation aérienne d’interdiction de ces avions en Chine, ayant, à rebours, des répercussions sur les décisions de l’autorité européenne, puis américaine, et enfin de Boeing, sans que cela ait un quelconque rapport avec une logique extraterritoriale d’une règle chinoise.
[11] A. Laidi, Le droit, arme de la guerre économique, 2019.