ActuMirage(s) 2024/5 Arbitrage, gel de fonds et partie réfugiée dans une ambassade (Paris, CCIP ord.mise en état, 4 avr. 2024

Dans cette affaire, une ressortissante russe, Mme Lazareva, qui vit au Koweït, y avait créé une entreprise, KGLI puis a investi dans un immeuble avec la participation d’entités étatiques du Koweït. Accusée d’espionnage et de détournement de fonds, elle était ensuite arrêtée et internée. Elle s’est finalement réfugiée au sein de l’ambassade de Russie au Koweït. Dans le même temps, une somme d’environ 500 millions de dollars, destinée au financement de l’immeuble étaient gelés. Elle engageait alors un arbitrage (CNUDCI, siège Paris), sur le fondement du TBI Russie Koweït du 21 novembre 1994 s’estimant victime d’une expropriation injustifiée. Le tribunal arbitral considérait cependant, pour se déclarer incompétent, en 2022, qu’elle n’avait pas la qualité d’investisseur au sens du TBI. Elle engageait alors un recours en annulation devant la Cour d’appel de Paris et demandait à pouvoir participer en personne à l’audience, demande rejetée par les autorités koweïtiennes.

C’est à ce stade qu’est rendue l’ordonnance du conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris, du 4 avril 2024, sur le fondement du Protocole relatif à la procédure devant la CCIP.

L’ordonnance observe que « les articles 4.2 et 5.2 du protocole relatif à la procédure devant la Chambre Internationale de la cour d’appel de Paris du 7 février 2018 (ci-après « le protocole »), auquel les parties ont adhéré qui renvoient aux articles 184 et suivants du code de procédure civile et en application des sections du « Guide pratique de procédure devant la CCIPCA » relatives à l’audition de parties, le conseiller de la mise en état apprécie l’opportunité de faire droit à la demande d’audition », sachant que l’audience de plaidoirie est attendu pour juin 2024.

Ces deux textes stipulent en effet que :

« 4.2.1 Après avoir pris connaissance des premières conclusions de l’appelant et des conclusions en réponse de l’intimé, le conseiller de la mise en état peut inviter les parties à comparaître personnellement ».

«5.2 Comparution personnelle des parties – La comparution personnelle des parties se déroule dans les conditions édictées aux articles 184 à 198 du code de procédure civile. Le juge procède à l’interrogatoire des parties, en posant les questions qu’il estime utiles sur tous les faits dont la preuve est admise par la loi. Chaque partie peut ensuite être invitée par le juge à répondre aux questions que les autres parties souhaitent poser ».

Observant qu’elle a été entendue devant le Tribunal arbitral, en 2021, mais qu’elle était emprisonnée au Koweït au moment de l’ouverture de l’arbitrage jusqu’à sa libération sous caution en 2019, elle considère que cette situation aurait altéré son accès aux preuves et réfuté son droit à un procès équitable. Le Koweït estime au contraire qu’elle s’est placée elle-même dans cette situation, en violant les conditions de sa libération sous caution et se réfugiant à l’ambassade de Russie, outre que ces arguments n’ont pas été soulevés à temps devant le tribunal arbitral, justifiant leur irrecevabilité en application de l’article 1466 du Code de procédure civile.

L’ordonnance décide alors, en une formule inédite semble-t-il de faire droit à la demande de Mme d’assister à l’audience, par visioconférence, depuis l’ambassade de Russie via un interprétariat à ses frais : « Rappelant toutefois le droit, protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour une partie d’être entendue et de comparaître en personne à l’audience la concernant, tout en rappelant un usage strict de ce droit, limité aux pouvoirs du juge chargé du contrôle des sentences, il y a lieu de faire droit à la demande d’audition de Mme  partie à la procédure, étant précisé que cette audition aura lieu en anglais et à distance, par visioconférence depuis le local diplomatique où elle réside actuellement, qu’elle pourra être interrogée et qu’elle ne pourra répondre qu’en personne aux questions qui lui seront posées, sans qu’elle puisse lire aucun projet, la comparution personnelle ayant lieu en présence des défenseurs de toutes les parties, un avocat pouvant assister Madame [Y] au sein des locaux diplomatiques ainsi que devant la cour d’appel de Paris. Le protocole autorise qu’une partie interroge une autre partie, sous le contrôle du juge ou du président de la cour. La comparution aura lieu en anglais à l’audience de plaidoirie devant la cour siégeant en collégialité ».

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