La compliance, que l’on ne risquera pas à définir, décrire, circonscrire précisément ici, sinon par renvoi par exemple aux travaux développés par ou sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche, est un phénomène qui se développe de manière très surprenante, du point des méthodes traditionnelles d’étude et de production du droit. Si, en effet, des règles émergent, ici ou là, qui entrent dans la définition/description qui commence d’être communément admise de ce qu’est ou pourrait être la compliance, il demeure que cet ensemble mouvant relève tout autant d’une forme d’usage pratique, ou de la satisfaction d’objectifs spécifiques, des buts monumentaux, qui seraient communs à tous les systèmes juridiques, ou du moins à certains d’entre eux : à ce titre, intègrent cette dimension des questions relevant de la protection des droits humains, de la santé humaine, de l’environnement, de la prohibition de la corruption, du blanchiment d’argent, du financement d’activités criminelles ou terroristes, etc. Beaucoup de ces buts se développent par des règles légistiques, pas toujours concordantes d’ailleurs, par exemple sur le terrain du devoir de vigilance, parfois par voie de règles internationales, par l’application extraterritoriale, plus ou moins assumée d’ailleurs, ou par des règles de soft law, lesquelles, par un phénomène de répétition, deviennent sinon des usages, du moins l’objet de litiges divers et, ce faisant des règles de droit « dur ». Par ailleurs, les questions dérivées du non-respect de ces règles émergent, parfois de manière discrètes mais à la portée considérable.
Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée, dans un arrêt du 27 septembre 2023 de la relation entre la violation des règles de prohibition du blanchiment d’argent et les préjudices qui pourraient en résulter (Cass. com. 27 sept. 2023, n° 21.21-995, MF c. Creacard, JCP G 2023, 1275, note F. Jourdan et R. Maulin, CCC 2023, com. 185, note H. Aubry).
En l’espèce, la société MF et la société Creacard sont des opérateurs dans le marché des cartes de paiement préapayées et la seconde, Creacard, reprochait à la première un refus de paiement d’une opération de paiement et avait engagé une action sur le fondement de l’article 145, tandis que PF répondait, par une demande reconventionnelle, visant à obtenir également des documents comptables et fiscaux, estimant que Creacard ne se conformait pas à ses obligations de compliance en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) des articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier, et cherchait, ce faisant à établir le préjudice qu’elle avait subi du fait de ce défaut de conformité et de l’avantage concurrentiel illicite qui en résultait. En principe en effet, un acte de parasitisme ou la violation des obligations légales constituent un acte de concurrence déloyale qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur (Cass. com., 17 mars 2021, n° 19–10.414, sté Creative commerce Partners ; JCP G 2021, 581, note A. Mendoza–Caminade ; Comm. com. électr. 2021, comm. 36, note G. Loiseau ; Contrats, conc. consom. 2021, comm. 96, note M. Malaurie–Vignal ; Cass. com., 12 févr. 2020, n° 17-31.614 ; JCP E 2020, 1363, note Th. d’Alès et P. Tiberghien, 1522, n° 10, obs. D. Mainguy), principalement en termes de frais de personnels et de matériels dédiés à cette surveillance.
Pour la Cour de cassation, suivant cette logique, « 9. Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. 10. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale ».
C’était assez prévisible, mais méritait d’être dite de manière claire et sans doute avec une vocation à être répétée : le non-respect des règles de compliance emporte, outre les sanctions propres de ce non-respect et qui peuvent être très sévères, un avantage concurrentiel nécessairement indu, justifiant l’action en réparation par ses concurrents.
DM