ActuMirage(s) 2023/7 Where is Sulu?(Paris 6 juin 2023, n° 21/21386)

Répondant à une logique d’immédiateté qui ne vaut que parce qu’elle est partagée par beaucoup, à commencer par les différents sites d’information sur l’arbitrage ou divers cabinet d’avocat s réactifs, Sorbonne arbitrage a souhaité proposé une initiative, à travers « un jour, un arrêt », visant à proposer une analyse « à chaud » d’un arrêt attendu en raison de son importance. Le soir même donc, sous la forme d’un webinar, dont le replay (Code secret: K%2D9X70) peut être visionné, présidé par le Pr. Thomas Clay et présenté par le Pr. Jérémy Jourdan-Marquès.

L’arrêt du 6 juin 2023 fait suite à trois décisions de la cour, sous forme d’ordonnances du CME, relatifs au sursis à exécution de la sentence et du déféré de ces décisions, en 2022 et 2023 (v. le précédent ActuMirage(s) 2023/6 Waiting for Sulu).

Cet arrêt est la décision visant le recours contre la décision d’exequatur du président du TJ de Paris du 29 septembre 2021 de la sentence partielle rendue en 2020 par l’Arbitre unique sur sa compétence ; elle se solde par la rejet l’exequatur, ce qui devrait logiquement emporter l’annulation de la sentence sur le fond, non sans laisser entrevoir d’autres voies de recours, à commencer par divers pourvois en cassation, notamment contre cet arrêt.

Divers commentaires savants suivront évidemment mais on peut déjà retenir plusieurs points, étant entendu que tous les alinéas de l’article 1520 du CPC étaient invoqués, mais que deux seulement sont discutés, celui de la régularité de la constitution du tribunal arbitral (rappelons que le Sultan de Sulu avait saisi le juge d’appui espagnol, sans doute sur une logique de for de nécessité, pour désigner un arbitre, et que cette désignation avait été annulée ensuite, l’arbitre ayant choisi de transférer le siège de l’arbitrage en France : il y avait au moins matière à discussions) et celui de la compétence de l’arbitre, la Cour choisissant d’inverser l’examen de ces questions, l’incompétence lui permettant de ne pas traiter les autres points.

Le premier, incident, est la formule « Dalico » revisitée aux §§ 63 et 64 (l’innovation est soulignée) :

« 63. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, ce contrôle étant exclusif de toute révision au fond de la sentence.

63. En vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, qui seule investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique. »

En effet, on ne voit pas pourquoi la commune intention des parties serait la seule qui permette d’investir l’arbitre de son pouvoir institutionnel : la discussion sur les phénomènes d’extension de la clause, les offres permanente d’arbitrage, etc., sont des situations qui permettent sinon d’élargir du moins de discuter la pertinence de la formule.

Deuxième point : la Cour reconnaît l’existence d’une clause compromissoire dans la convention litigieuse, signée en 1878 et dans un langue difficile, le jawi, malais classique rédigé avec l’alphabet arabe et difficile à traduire dont les diverses traductions possibles et discutées entre les parties sont présentées dans l’arrêt.

Pour la cour, utilisant deux principes généraux le « principe d’interprétation de bonne foi des conventions, qui implique de ne pas permettre à l’une d’elles de se soustraire à des engagements librement consentis mais exprimés de manière maladroite » et le principe « d’effet utile, selon lequel lorsque les parties insèrent une clause d’arbitrage
dans leur contrat, il y a lieu de présumer que leur intention a été d’établir un mécanisme
efficace pour le règlement des litiges visés par la clause compromissoire
 » (§ 70), elle recherche les éléments permettant de distinguer une convention d’arbitrage, de manière classique, un accord entre parties confiant à un tiers, la mission de trancher un litige.

Au passage, cette méticulosité est inhabituelle en matière d’arbitrage international tant les clauses pathologiques sont considérées comme susceptibles d’être corrigées : c’est d’ailleurs l’un des points expliquant la favor arbitratis de la jurisprudence française, accélérer le traitement du litige, sans l’alourdir par des procédures étatiques parallèles.

Elle l’est d’autant plus que la Cour reconnaît bien une convention d’arbitrage :

« 74. Au-delà de ces divergences, il résulte de la dépêche adressée le 22 janvier 1878 au Comte de Derby par le consul général par intérim Treacher, témoin directe de la négociation de l’accord litigieux, que, consulté par le Sultan de Sulu, celui-ci lui a conseillé d’insister « pour que tout différend qui pourrait surgir par la suite entre lui et la Compagnie britannique soit soumis pour qu’une décision soit prise au Consul Général de Bornéo ».

75. Cet élément de contexte, combiné à la convergence d’une majorité de traductions en faveur des notions de « jugement » et de « décision », conduit la cour à considérer que la clause révèle la volonté des parties d’investir le consul général de la couronne britannique du pouvoir juridictionnel de trancher un éventuel litige survenant entre elles ou leurs successeurs, à l’exclusion du recours aux juridictions nationales, auxquelles la fonction de consul ne peut être assimilée.

76. En quoi, la stipulation litigieuse peut être regardée comme une clause compromissoire ».

Mais, aux points suivants (§§ 77 et s), qui constituent l’essentiel de la décision, la Cour considère que c’est le Consul général britannique à Bornéo qui était visé de sorte que celui-ci disparu, la mission ne pouvait être exécutée, la clause est caduque.

« 77. S’agissant du contenu de la convention d’arbitrage, il résulte de la dépêche précitée du 22 janvier 1878 que le choix du consul général de la couronne britannique en poste à Brunei pour connaître d’un éventuel différend a constitué un élément déterminant de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage, le titulaire de la fonction en poste en 1878, qui entretenait des liens de confiance avec les parties, ayant pris une part active aux négociations et signé le contrat litigieux, après avoir incité le Sultan de Sulu à se soumettre, en cas de contestation, à la décision du dit consul.

78. Cette désignation apparaît, au vu de ces circonstances, comme indissociable de la volonté de compromettre, avec laquelle elle forme un tout.

79. Or, la disparition de la fonction ainsi désignée rend inapplicable la clause litigieuse, devenue caduque, cette remise en cause se trouvant confortée par le fait que le gouvernement britannique a succédé en 1946 aux droits de l’une des parties, de sorte qu’un consul britannique ne pouvait à compter de cette date être regardé comme un tiers indépendant.

80. Dans ces conditions, un nouvel accord de volonté des parties était nécessaire, lequel fait en l’état défaut, alors même que l’accord a fait l’objet de tentatives de renégociation après 1946.

81. Faute d’un tel accord sur cet élément essentiel mettant en jeu la convention d’arbitrage, la décision du juge d’appui ne peut être invoquée pour fonder la compétence de l’arbitre, la clause étant devenue, comme telle, impossible à mettre en œuvre.

82. Il s’ensuit que le tribunal arbitral ne pouvait valablement se déclarer compétent pour connaître des demandes formées par les consorts Kiram ».

Ce point sera sans doute le plus discuté notamment devant la Cour de cassation :

– il y a une clause compromissoire,

– elle désigne le consul britannique de Bornéo (il n’est pas clair de savoir si, pour la Cour, c’est le Consul de 1878, M. Treacher qui est nommément désigné comme arbitre, ou un consul britannique : Cf. § 74 : « il résulte de la dépêche adressée le 22 janvier 1878 au Comte de Derby par le consul général par intérim Treacher, témoin directe de la négociation de l’accord litigieux, que, consulté par le Sultan de Sulu, celui-ci lui a conseillé d’insister « pour que tout différend qui pourrait surgir par la suite entre lui et la Compagnie britannique soit soumis pour qu’une décision soit prise au Consul Général de Bornéo » et § 77 : « le titulaire de la fonction en poste en 1878, qui entretenait des liens de confiance avec les parties, ayant pris une part active aux négociations et signé le contrat litigieux, après avoir incité le Sultan de Sulu à se soumettre, en cas de contestation, à la décision du dit consul« 

– or, la fonction de consul général ayant disparu, la clause est caduque, et d’ailleurs le Consul britannique n’est plus un tiers indépendant à compter de 1946 (mais, le litige naît en 2013, et bien après que la souveraineté britannique ait cessé, en 1963, sur ce territoire)

On saisit que cette dernière partie est le point d’arrivée qu’il fallait atteindre, sans doute pour des raisons de prudence judiciaire, mais on peut proposer deux rapides critiques.

1) le Consul est un diplomate comme les autres, un ambassadeur anglais en Malaisie existe sans doute, permettant alors d’identifier un lien vers la compétence du juge anglais, par modernisation de la formule compromissoire (rappelons également qu’au XIXème siècle il était usuel de confier des arbitrages interétatiques ou dans lesquels les intérêts d’un Etat étaient en jeu à un tête couronnée comme arbitre ; Napoléon III a ainsi été désigné comme arbitre dans un litige relatif à la construction du Canal de Suez).

2) la Cour traite ce litige comme un arbitrage commercial international ; on peut émettre quelques doutes sur ce point : le sultanat de Sulu a traité comme un souverain de sorte que si cette souveraineté a formellement disparu du fait des aléas de l’histoire, (la sentence, sur le fond, a considéré le contrat de 1878 comme un contrat de location), elle demeure, au moins de manière symbolique, du fait de ce contrat dont la Malaisie a recueilli le bénéfice et l’a exécuté sans discontinuer jusqu’en 2013, y mettant fin en raison d’un conflit armé : le litige aurait pu donc être regardé comme un litige interétatique, appelant, par exemple l’application du règlement d’arbitrage de la Convention de La Haye de 1899 et la compétence de la Cour permanente d’arbitrage, ou, comme ici, d’un arbitre choisi en application de la convention d’arbitrage. Or l’effet utile de celle-ci, dont la Cour rappelle le principe, montre bien qu’il s’agissait alors de conférer au représentant du pays alors première puissance mondiale, le Royaume-Uni, pour trancher ce litige, dans un contexte où l’important était moins la personne alors désignée pour trancher ce litige, que la mission de trancher celui-ci, par le truchement du représentant local de la Couronne, dans l’esprit de la méthode de résolution des conflits armés de l’époque, généralisé ensuite dans la Convention de 1899. Qui succède à ce représentant, ou bien la Couronne d’Angleterre, toujours portée, ou bien une autorité légitime se substituant à une telle autorité, la CPA ou quelque institution d’arbitrage ad hoc susceptible de tenir ce rôle. Retenir ce raisonnement aboutirait alors à s’interroger sur la compétence du juge, sur la base d’une clause compromissoire valide et en cours, sur la régularité de la Constitution et sur le respect de l’ordre public international du siège, lequel comprend les règles du droit des conflits armés (Cf. Paris, 5 oct. 2021, n° 19/16601, DNO Yémen : les conventions de Genève et le droit des conflits armés sont une part de la conception française de l’arbitrage international).

DM

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