Le 6 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour d’appel de Paris devrait rendre une décision dans une affaire exceptionnelle à plus d’un titre, celle du recours engagé par la Malaisie dans l’affaire dite du Sultanat de Sulu dont l’écho a rejailli dans la presse généraliste (J. Bouissou, « Entre la Malaisie et les descendants d’un sultan de Bornéo, un litige rocambolesque à 15 milliards de dollars », Le monde, 1er juin 2023) et qui fera l’objet de la première édition de « un jour, un arrêt » de Sorbonne arbitrage, en visioconférence, animé par le Pr. Th. Clay et présenté par le Pr. J. Jourdan-Marquès, mardi 6 juin 2023, à 18:00.
En 1878, un accord avait été conclu entre le Sultan de Sulu et des représentants de la British North Borneo Company portant sur certains territoires de la côte nord de l’île de Bornéo, un archipel situé entre les actuelles Philippines et la Malaisie, qui fait aujourd’hui partie de l’État de Sabah, rattaché à la Malaisie. L’accord était rédigé en vieux malais et, si sa qualification juridique n’est pas aisée, cession ou location, un prix était fixé à 5.000 ringgits par an, puis à 5.300 dollars, dans un Acte de confirmation de 1903, assurant un protectorat par les Etats-Unis. Depuis l’indépendance de la Malaisie en 1963, l’Etat malais payait cette somme aux héritiers du Sultan de Sulu, alors même que le rattachement de l’Etat de Sabah à la Malaisie est à l’origine d’un conflit avec l’Indonésie, que les Philippines revendiquent par ailleurs ce territoire et qu’une rébellion islamique aux Philippines est soutenue par la Malaisie. En 2013, Jamalul Kiram III, se considérant nouveau Sultan de Sulu, débarquait avec des hommes armés de la rébellion philippine sur les côtes est de l’Etat de Sabah, afin de faire valoir ses « droits » sur le territoire du Sultanat de Sulu, emportant une puissante réaction des forces armées malaisiennes qui repoussaient « l’invasion » et s’installaient durablement contre cette menace. Des combats ont eu lieu, avec de nombreux morts, des réactions internationales se sont succédé, des cyberattaques par un groupe malais ont été conduites contre les télécommunications philippines, auxquelles ont répondu des attaques du groupe Anonymous contre des cibles malaisiennes. Un petit conflit armé, donc, avec de nombreuses composantes modernes, des combats, des opérations de manipulation de l’information, des opérations cyber conduites par des proxies ou des tiers, des opérations clandestines, du lawfare, etc. Conséquence a priori anodine, en retour, la Malaisie cessait de payer les sommes dues au titre de l’accord de 1878. Les héritiers du Sultan, de nationalité philippine, s’estimant expropriés, engageaient alors un arbitrage international sur le fondement d’une clause de l’accord de 1878, pouvant être considérée comme une convention d’arbitrage, réclamant 15 milliards de dollars à la Malaisie, laquelle avait largement profité des richesses diverses, pétrolières notamment du territoire, arbitrage auquel cette dernière refusait de participer. Ils saisissaient le juge d’appui de Madrid qui désignait un arbitre unique, arbitrage que conteste la Malaisie qui y faisait défaut. L’arbitre désigné se reconnaissait cependant compétent et rendait une sentence partielle rendue à Madrid le 25 mai 2020. La Malaisie obtenait l’annulation de toute la procédure, en raison du non-respect des règles de signification de l’assignation aux Etats étrangers, par une décision du Tribunal supérieur de Madrid, qui faisait même défense à l’arbitre de continuer cet arbitrage. L’arbitre décidait cependant de déplacer le siège de l’arbitrage de Madrid à Paris, tandis que les héritiers du Sultan obtenaient, le 29 septembre 2021, l’exequatur en France de la sentence partielle sur la compétence. Une sentence finale a finalement été rendue le 28 février 2022, condamnant la Malaisie à verser 14,92 milliards de dollars aux héritiers du Sultan de Sulu, considérant notamment que les termes de l’acte de 1878 et de l’acte de confirmation de 1903, qualifié de bail, ne comportaient pas d’effets de cession permanente de souveraineté internationale, de sorte que l’acte de 1878 n’affectait pas la souveraineté de la Malaisie, laquelle avait au contraire violé ses obligations contractuelles (Paris, ord., 12 juill. 2022, n° 22/04007, Malaisie, Dalloz actu. 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; Global Arbitration Rev. 12 juill. 2022, obs. C. Sanderon). Un recours en annulation a été engagé par la Malaisie devant la Cour d’appel de Paris, et a en outre obtenu du conseiller de la mise en état de la cour d’appel la suspension provisoire des effets de l’ordonnance d’exequatur en France de la sentence sur la compétence, décision de suspension dont les héritiers du Sultan, ont obtenu la rétractation, rendue en deux temps (Paris, ord., 10 juin 2022, n° 22/7044, Malaisie, Paris, ord. 12 Juill. 2022, préc., Paris 14 mars 2023, n° 22/14386, sur le rejet du déféré contre cette dernière ordonnance).
Résultat : demain et commentaire immédiat dans le webinaire, à 18 heures…
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