MIRAGE(S)
Le « droit de la guerre atypique » est un ensemble difficile à saisir.
L’idée générale est que si des conflits armés existent, alors, en pure logique, des conflits non armés existent également. Le droit des conflits armés est un droit structuré, complet, obligatoire, etc., mais inversement, il n’existe pas, a priori, d’ensemble désigné comme « droit des conflits non armés ». En revanche, de très nombreux cas d’agressions, étatiques ou privées, contre des Etats ou des entités privées, existent, qui éprouvent les législations de pratiquement tous les Etats, dont, ici en vrac, des attaques cyber, des campagnes de manipulation de l’information, des questions plus techniques également comme les actions dirigées contre des sociétés transnationales, par exemple pour complicité de crimes contre l’humanité ou pour violation d’un devoir de vigilance à l’objet flou, environnemental ou protection des droits humains, ou encore sur le fondement d’application extraterritoriale de règles françaises, européennes ou américaines notamment, ou, enfin, la question de l’application des sanctions économiques du traitement de certaines questions de protection des investissements.
Si nous avions commencé, en 2020, par des questions de droit de la guerre économique, l’élargissement du point de vue à cet ensemble (qui sera décliné dans un ouvrage à paraître courant 2023) convie à une prise en compte également plus large de situations et de règles : attaques cyber, campagnes de manipulations de l’information, sanctions économiques, extraterritorialités de règles internes, dont la validité sinon des règles elles-mêmes du moins des conditions de leur mise en œuvre, au regard de l’identification de règles internationales, tirées de coutumes internationales, souvent de jus cogens, mérite quelque détour, justification de la place majeure occupée par l’arbitrage international, questions de compétence universelles, pénale ou civile, etc.
La formule « guerre atypique » s’explique : « guerre », formule évidemment hyperbolique, parce que ces agressions sont souvent ressenties comme telle, quand bien même il s’agit ici d’un synonyme de conflit, litige, différend, etc. « Atypique » par opposition aux « guerres atypiques », les conflits armés et pour ne pas utiliser « conflits non armés » ou « opérations non militaires ». Le lien entre les deux s’effectue curieusement via la figure du travers la figure du lawfare, très utilisée par les militaires, y compris pour des questions non militaires, et vise à présenter des situations, dans un conflit armé, où des règles de droit (des conflits armés ou du droit international humanitaire principalement, le droit de la « guerre typique » dans ce raisonnement) sont « utilisées » pour réinterpréter certaines de ces règles, proposer des règles alternatives (très clairement par les parties russes, chinoises, iraniennes, etc.) mais également, au fil du temps, pour saisir des questions très distinctes comme celles touchant à l’extraterritorialité de règles étrangères, ce qui n’est pas, a priori, une question militaire. Inversant la proposition, le lawfare pourrait parfaitement être considéré comme une technique d’utilisation de règles de droit dans un but agressif, militaire ou non militaire, c’est-à-dire qu’il existe, à côté des cas de guerre typique, des hypothèses de guerre atypique non militaire ou militaire (que les militaires désignent souvent sous la formule « guerre hybride » apparue principalement à l’occasion de l’invasion de la Crimée en 2014). Par ailleurs, la considération du lawfare implique celle du droit lui-même, sous un angle « stratégique » ou dans un contexte de négation de la valeur ou de l’existence de règles, en une forme de « guerre du droit ».
Un deuxième lien s’effectue par la considération que les intérêts supérieur d’un Etat sont concernés. Par conséquent, et cela ajoute à la difficulté (pour un juriste), il n’y a pas deux mais trois ensembles : le droit des conflits armés, le droit de la guerre atypique, et tout le reste du droit, principalement du droit du commerce international et du droit des affaires. Seul le deuxième ensemble nous importe ici.
Un troisième lien naît de l’observation que s’il n’existe pas de traité ou de convention international gouvernant ces questions, il demeure que l’attraction du droit de la guerre typique est considérable, à telle enseigne que les principes directeurs de la guerre (humanité, précaution, proportionnalité), associés à des coutumes internationales du droit du commerce international ou du droit international des investissements, fondent l’embryon d’un tel droit, parfois de jus cogens, dont les récents développements en matière de devoir de vigilance par exemple dans l’affaire TotalEnergies, révèlent l’importance, ou bien dans l’affaire Lafarge.
Un dernier pose la difficulté d’isoler des modes de résolution de ces litiges : juges étatiques internes civiles ou pénales supposant une reconfiguration des logiques de compétence universelle civile ou pénale, juridictions internationales introuvables et, surtout, arbitrage international.
C’est cet ensemble, pris dans une forme d’uniformité, que le MIRAGE(S) dans ses aspects factuels et juridiques cherche à saisir.
Afin de promouvoir l’étude et la compréhension de cet ensemble, le MIRAGE(S) vise à présenter dans un lieu, numérique, l’actualité et les règles relatives au droit de la guerre atypique dans une dimension globale, interne, comparée, internationale. Sans chercher l’exhaustivité, nous tâcherons de présenter, commenter ces règles, l’actualité en la matière, essentiellement en termes juridiques mais pas uniquement.
L’objectif est triple.
1.Regrouper une équipe pérenne, faite d’universitaires, de praticiens, d’étudiants, de tous horizons.
2.Actualiser ce site par un travail de l’équipe qui le nourrit, dans le but de créer une bibliothèque des règles applicables mais également de la jurisprudence, des rapports parlementaires, des règles de droit souple, des témoignages éventuellement.
3.Réaliser des rencontres régulières, des chroniques, des publications.